Si, pour le commun des mortels voler est un rêve, alors piloter en Nouvelle Calédonie au dessus des lagons couleur turquoise et au milieu des montagnes verdoyantes renforce l'image paradisiaque de cette activité.
On oublie souvent que lorsque les conditions météo se dégradent, le manque de visibilité, les nuages bas et les pluies torrentielles rendent le vol périlleux.
Le vol à destination de l'île des pins est une navigation que je connais bien maintenant, le vol aller s'était bien passé malgré l'obligation de voler au minimum règlementaire (500 ft- 150m) pour garder la vue de la surface...de l'eau.
En cas de panne moteur à cette altitude nous n'aurions eu que 15 secondes de vol avant l'impact de l'amerrissage forcé, même pas le temps nécessaire pour enfiler son gilet de sauvetage.
Les prévisions disaient: amélioration, ce que je constate à l'arrivée à l'île des pins.
Pourtant le vol retour allait créer bien des "illusions".
La première, la dégradation notable de la visibilité, à peine plus de 1500m devant l'avion avec de la bruine et de la pluie quasi permanente, m'empêchant de garder une vue nette du sol et de la surface de l'eau.
Je ne distinguais dèjà pas grand chose quand, tout à coup... plus rien, ni en haut, ni à gauche, ni à droite, pas même en bas, je viens de perdre toutes références visuelles extérieures en rentrant dans un nuage bas impossible à anticiper.
Je sens le stress monter brutalement. La chaleur sur mon visage, mes mains moites qui se crispent sur les commandes, je ressens chaque battement de coeur.
Le manuel dit: opérer un demi tour et contourner la zone pour se dérouter, sauf qu'en Nouvelle Calédonie le seul terrain de déroutement c'est l'aéroport international, et il est devant moi.
Des nuages bas il semble qu'il y en ai partout et contourner la zone pourrait me prendre des heures, et je n'ai pas assez de carburant pour ça.
De plus je suis à peine à 5 min de Magenta, ma destination et je suis informé que les conditions sont meilleures.
Une seule issue, faire confiance aux instruments et surtout à l'horizon artificiel. Mais ce type de vol nécessite un vrai savoir faire, l'Intrument Flight Rules (IFR), et c'est une qualification que je n'ai pas.
Pour parachever la montée du stress, la deuxième illusion, sensorielle cette fois:
mon corps me donne la sensation de voler les ailes bien à plat à cap constant, en réalité l'horizon m'informe que je suis en virage à gauche et le défilement de la rose des caps le confirme.
Je dois me résoudre à laisser mes illusions de côté, contrarier mon système vestibulaire et faire entièrement confiance à une machine. A ce moment là je vire doucement et je commence à avoir des vertiges, induits par le conflit des informations et sensations.
Pendant que je lutte, je dois également corriger une perte d'altitude (la surface de l'eau n'est plus très loin, à cette vitesse elle serait aussi dure que du béton), à la radio on s'adresse à moi, la tour de contrôle me signale un appareil qui fait... or je suis incapable de comprendre le message car toute mes ressources sont focalisées sur le pilotage.
Les secondes passent, se transforment en minutes, je ne devrais plus être très loin du terrain.
Soudain, je retrouve la vue du sol, le temps gris et la pluie, j'aperçois la côte et devine la piste dans le fond, je réponds à la radio, prépare l'approche. Je me pose.
Au parking, en croisant un autre pilote, j'apprendrai qu'il y a 10 ans, au même endroit et dans les mêmes circonstances, un avion est parti en vrille, trois personnes ont perdu la vie.
S'il y a des moments où l'on est fier de ce que l'on fait, aujourd'hui je suis simplement heureux de ce que je suis. Vivant.
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